Les dossiers médicaux électroniques (DMÉ) sont des outils prometteurs, mais quand on examine leur taux d’utilisation par les médecins de famille, on note que le Canada vient au 11e rang sur 11 pays examinés. Pour que ce taux augmente, il faudra tenir compte des craintes et des attentes des différentes parties prenantes concernées par l’implantation des DMÉ, c’est-à-dire les patients, les professionnels de la santé et les gestionnaires.
Mais quelles sont ces craintes et attentes? Et comment en tenir compte?
Pour les définir de manière scientifique, un groupe de chercheurs québécois et ontarien a mené l’examen de 52 publications diffusées entre 1999 et 2009. Ces publications devaient répondre à certains critères bien précis, comme avoir été réalisées dans un pays de niveau économique similaire à celui du Canada et porter sur l’implantation d’un DMÉ complet (plutôt qu’un module de DMÉ ou deux seulement).
Dans les études examinées, les aspects techniques associés à l‘utilisation des DMÉ (comme, la vitesse du système informatique mis à la disposition des professionnels) sont ceux qui sont le plus fréquemment cités comme facilitant ou gênant l’implantation de ces outils. Dans cette veine, la faible ou forte convivialité des DMÉ est un facteur présenté comme barrière ou facilitateur, tandis que le fait qu’un DMÉ particulier ne permette pas l’échange de données est cité comme un obstacle majeur.
Les questions relatives au respect de la vie privée et à la sécurité sont le deuxième facteur le plus souvent mentionné dans les études recensées par les chercheurs (elles le sont dans quatre études sur dix). Les parties prenantes s’inquiètent entre autres de ce que la confidentialité des données relatives aux patients puisse être compromise à cause des DMÉ. Fait à noter, quatre études relèvent que les patients s’inquiètent de ce risque, tandis que cinq soulignent qu’ils y portent peu d’attention.
La question des coûts d’implantation inquiète bien sûr les parties prenantes (les médecins et les gestionnaires craignent notamment que les ressources manquent ou que les coûts de démarrage soient prohibitifs). Les acteurs croient de plus que l’introduction des DMÉ puisse mener à une chute de productivité, même si, dans les études portant sur les professionnels de la santé, les gestionnaires et les patients, on croit aussi que celle-ci puisse s’accroître.
Les patients croient que leur capacité à utiliser les ordinateurs favorise l’implantation des DMÉ, chose dont doutent les gestionnaires. Pendant ce temps, les études montrent que les professionnels de la santé croient parfois qu’ils sont eux-mêmes des utilisateurs peu compétents.
Tant les patients que les professionnels craignent que l’introduction des DMÉ ait un effet négatif sur la relation qu’ils entretiennent. Enfin, les médecins, les autres professionnels de la santé et les gestionnaires sont nombreux à croire, selon les études recensées, que la lourdeur de leurs tâches ou le peu de temps dont ils disposent soit un obstacle à l’implantation d’un DMÉ.
Cela dit, la mégaétude permet aussi de distinguer certaines différences entre les groupes d’utilisateurs. Ainsi, certaines des études recensées montrent que les patients ont peur que les données contenues dans les DMÉ soient inexactes, mais cette crainte paraît absente de chez les gestionnaires. De même, les patients sont seuls à considérer comme un facteur facilitant le fait que les DMÉ leur donnent plus de pouvoir.
Les études réalisées auprès des médecins, des autres professionnels de la santé et des gestionnaires montrent de leur côté que la taille d’un cabinet, l’existence ou non de soutien informatique ou de formation, et la qualité des relations existant entre les gestionnaires et les professionnels de la santé comptent pour beaucoup dans le succès d’une implantation.
Par exemple, les études montrent que pour les médecins, la perception que l’implantation des DMÉ puisse avoir un effet négatif sur leur niveau d’autonomie peut constituer un irritant sérieux. De leur côté, les professionnels en tous genres croient qu’une approche de gestion descendante (top-down) peut nuire au succès d’un projet d’implantation, tout comme le démarrage de ce dernier à un mauvais moment.
Enfin, les chercheurs concluent qu’il est possible de lever une partie des obstacles à l’implantation des DMÉ en créant un programme de certification des logiciels offerts sur le marché, en convainquant les usagers de l’utilité de ces outils et en accompagnant les cabinets dans la sélection et l’implantation de ces technologies. La participation des usagers au processus de décision est aussi souhaitable, puisqu’elle assure que les décideurs tiennent compte des besoins réels des acteurs de terrain.
Pour obtenir plus de détails sur cette recherche, consultez :
McGinn, Carrie A. et autres (2011), « Comparison of user groups’ perspectives of barriers and facilitators to implementing electronic health records: a systematic review », BMC Medicine, volume 9, numéro 46. Version en ligne accessible depuis l’adresse www.biomedcentral.com/1741-7015/9/46. Pour toute question au sujet de cet article, joindre Marie-Pierre Gagnon.
Marie-Pierre Gagnon est professeure agrégée à la Faculté des sciences infirmières de l’Université Laval.
La diffusion de ces résultats de recherche est rendue possible par une subvention octroyée par les Instituts de recherche en santé du Canada (FQRSC) à l’équipe responsable du projet de transfert de connaissances Using Research Results to Improve the Implementation of the Electronic Health Record in Primary Care.