Clinique médicale 201 de Ste-Agathe: étude de cas

Précurseur sur le plan de l’adoption des technologies de l’information dans le secteur de la santé, Dr Bertrand Bissonnette s’intéresse à l’informatique médicale depuis le début des années 1980. Il s’y applique notamment à titre de chef du DRMG (Département régional de médecine générale) des Laurentides au sein duquel il a fondé le comité informatique en 2008. Il contribue aussi à élever les standards minimaux des différentes solutions de dossiers médicaux offerts dans la province en participant aux travaux du comité provincial d’homologation des dossiers médicaux électroniques (DMÉ) depuis  2012.

Responsable médical de la Clinique médicale 201 à Ste-Agathe dans les Laurentides, Dr Bissonnette est également membre fondateur du GMF des Sommets qui compte 40 omnipraticiens. Ces médecins de famille travaillent dans quatre sites répartis sur l’ensemble du territoire. En 1996, la Clinique médicale 201 a procédé à l’implantation d’un premier système de gestion de dossier médical électronique. Ils en sont aujourd’hui à leur deuxième version de l’outil développé par KinLogix, récemment acquise par la firme TELUS.

Pourquoi opter pour un DMÉ?

Intéressé par l’informatique médicale depuis une trentaine années, Dr Bissonnette n’en est pas à sa première adoption d’outils technologiques. Avant l’implantation du DMÉ, il avait d’ailleurs déjà testé plusieurs systèmes informatiques. Ces outils permettaient certaines fonctionnalités telles que la rédaction de la note clinique mais ils s’avéraient très peu efficaces pour structurer la gestion d’une clinique ou encore les activités hospitalières.

Le médecin s’est laissé convaincre d’adopter un véritable système de gestion des dossiers médicaux électroniques lorsqu’on lui a présenté une application calquée « en tous points » sur le travail effectué en clinique en donnant par surcroit, le choix aux médecins de pouvoir rédiger la note clinique à la main ou en utilisant le clavier. À l’évidence la solution proposée avait été structurée dans son ensemble par un clinicien ce qui devrait en facilité l’adoption par une large proportion des médecins ayants diverses pratiques et habiletés informatiques.

Autre avantage qui a pesé dans la balance : un désastreux manque d’espace pour loger tous ces dossiers papiers qui ne cessaient de s’accumuler. « Les archives cliniques ont gonflé d’une façon spectaculaire au cours des dernières années, explique Dr Bissonnette. Primo, parce que l’espérance de vie « malade » des patients a plus que doublé en 15 ans, et secundo, parce de ce fait, ils consultent beaucoup plus et que leurs médecins leur font passer bien plus d’examens qu’auparavant. Ceci génère infiniment plus de paperasse, soit environ 20 fois plus qu’il y a 20 ans. Et rien n’indique que le processus est en décélération, bien au contraire. Toutes les cliniques font actuellement face à cette réalité : gérer une somme de papier affolante pour un nombre de plus en plus élevé de patients. Cette gestion exige non seulement un travail incroyable mais engendre aussi des pertes de résultats et un épuisement des ressources. »

Tous les médecins s’entendent d’ailleurs pour le dire : le volet le moins intéressant de leur métier consiste à gérer de la paperasse. Et fait indéniable, cette gestion représente une source de frustration pour tous les professionnels de la santé. D’autant plus qu’ils doivent plus que jamais prendre des décisions sur un ensemble de données. Il s’avère donc essentiel d’avoir en main tous les outils qu’il faut pour consulter rapidement l’ensemble des informations disponibles sur un patient.

L’opération est d’autant plus facilitée lorsque l’ensemble des partenaires d’une même région peuvent accéder à l’information et la faire circuler. « Au Québec, notre région compte parmi celle qui intègre le plus l’information patient. Notre CSS régional est l’un des rares hôpitaux québécois à s’être informatisé. Comme il ne s’agit pas de données atomiques, les possibilités sont plus limitées mais au moins, il n’y a plus de pertes ou de dédoublements de résultats. Le dossier est disponible pour tous les intervenants en même temps et ce, peu importe l’endroit où l’on se trouve. Nous avons ainsi accès à toutes les notes cliniques, images, scans, échographies et résultats de laboratoire de l’hôpital. Tout cela se passe en temps réel, ici dans le bureau, devant l’écran et en présence du patient. »

Évidemment, les médecins en médecine familiale ont aussi accès au dossier patient électronique qui lui, est beaucoup plus évolué. Il s’agit pourtant d’un outil très simple sur le plan technologique. La base de données pour notre DMÉ est gardée de façon sécuritaire à l’extérieur de la clinique. Ainsi, elle devient disponible de partout et elle est protégée contre tous les aléas de la vie : feu, vol, inondation, etc. Par cette pratique, la clinique échappe aussi à tous les inconvénients causés par un serveur qui cesse de fonctionner subitement ou à une redondance qui ne s’effectue pas de façon optimale. Une situation qui s’avère pourtant le lot d’environ 80 % des installations informatiques. D’où l’importance de prendre certaines mesures pour éviter ces désagréments.

Quels sont les principaux avantages à adopter un DMÉ?

Pour la Clinique médicale 201 de Ste-Agathe, le premier avantage s’est situé au niveau des archives. Bien que certains documents doivent encore être manipulés par notre personnel, la plupart des données s’intègrent aujourd’hui automatiquement au dossier. « Dès que le laboratoire procède à l’analyse, les données sont envoyées dans un concentrateur régional qui communique avec le centre du DMÉ situé à Québec. Ce dernier intègre ensuite les résultats de ces analyses au bon endroit dans le dossier du patient. Et toute cette opération se déroule en quelques secondes, précise Bertrand Bissonnette. Ainsi, une analyse sanguine prélevée à 11 h 10 sera traitée au laboratoire à 11 h 30, je recevrai les résultats sur l’ordinateur de mon bureau, en présence de mon patient, à 11h40. Imaginez les gains incroyables que nous pouvons réaliser en efficacité sans oublier les risques d’erreurs que nous avons considérablement réduits. »

Revoir les processus de travail

Tous les experts s’entendent pour le dire : pour tirer pleinement profit d’un DMÉ, il faut profiter de l’occasion pour revoir ses processus de travail. En d’autres mots, les gains sont nettement moins considérables lorsqu’on se contente d’adopter la technologie en ne reproduisant que ses veilles façons de faire.

Une recommandation que la Clinique a décidé de mettre en pratique. Primo, le personnel clérical, qui s’occupait notamment des archives, a été réaffecté à d’autres tâches ou a dû quitter la clinique. Secundo, comme les secrétaires et les infirmières n’ont plus à gérer des masses de papier, le service à la clientèle s’est considérablement amélioré. En quelques clics, elles peuvent désormais donner un rendez-vous, consulter le dossier et répondre aux patients. « Lorsque vous appelez à la clinique, quelqu’un vous répond aujourd’hui sur le champ alors qu’avant il devait patienter plusieurs minutes parce que le personnel était complètement débordé par la désorganisation totale qu’imposait un système papier, précise Bertrand Bissonnette.»

Autre gain : les médecins peuvent davantage déléguer et travailler en équipe. Tout le personnel soignant (médecins, infirmières bachelières, professionnels, etc.) peut travailler simultanément dans le même dossier. « J’ai aussi instauré une nouvelle façon de faire dans ma pratique : je travaille depuis maintenant quatre ans avec un assistant clinique. Il s’agit d’un(e) infirmier(e) auxiliaire qualifié(e) et entrainé(e) pour seconder en assistance immédiate le médecin dans ses tâches cliniques. Le travail de ce professionnel va bien au-delà de la simple prise de tension artérielle ou encore des vaccinations. C’est beaucoup plus intégré. Mon assistant me seconde toute la journée, fait les mêmes heures que moi. Il y a une économie totale des énergies et ça se traduit en temps clinique de valeur pour le patient, explique Dr Bissonnette.»

Des bénéfices insoupçonnés

Le bilan en matière d’avantages est très positif. De multiples bénéfices ont été constatés : des gains prévus et d’autres, insoupçonnés. Une chose est claire : tout le personnel a gagné en efficacité et certains ont même doublé leur rendement. « Nous notons une amélioration de 200 % en ce qui a trait à la prise d’appels, constate Dr Bissonnette. Nous n’avons plus autant besoin de personnel : quatre archivistes travaillaient à temps plein juste pour répondre aux besoins d’archive de mon site GMF. L’ajout d’un assistant clinique à ma pratique m’a aussi permis de maximiser ma capacité de rencontrer et d’informer mes patients car je ne fais plus la collecte de données et je ne cherche plus l’information. Résultat : je dispose de beaucoup plus de temps pour parler aux patients, les réconforter, les comprendre et mieux leur expliquer les choses.»

Comme les médecins disposent de grands écrans sur leurs bureaux, ils peuvent aussi aller sur Internet afin de montrer aux patients des sites qui les aideront à mieux prendre soin d’eux tant au niveau de leur diète que des exercices. Ils leur donnent ainsi les moyens de s’éduquer afin qu’ils prennent mieux en charge leur guérison.

Autre gain non négligeable : « Avant je n’avais jamais le temps de dîner, maintenant je prends au moins 40 minutes pour le faire. Non seulement je vois plus de patients par jour mais le temps que je leur consacre pour parler des vraies affaires s’est aussi accru. Les patients sont évidemment enchantés de ces nouvelles façons de faire et nous le répètent fréquemment. Fait indéniable, l’implantation du DMÉ ne comporte que des avantages. Il n’y a pas grands arguments pour ne pas aller de l’avant, clame Bertrand Bissonnette. »

Ne pas négliger la formation

Pour bénéficier pleinement de l’adoption d’un DMÉ, il faut aussi s’assurer que tous les utilisateurs se sentent à l’aise avec l’outil et en comprennent bien toutes les fonctionnalités. Ainsi, tout le monde a besoin de formation, même les plus aguerris. Et ce, même si le système que l’on choisit émule totalement le dossier papier que l’on utilise. « Aujourd’hui, même les plus vieux médecins utilisent le DMÉ, précise Bertrand Bissonnette. Bien qu’ils aient été les derniers à l’adopter, ils sont actuellement les premiers à en vanter les mérites. À preuve, notre meilleur professeur est un gynécologue de 72 ans qui affichait certaines réticences au départ. Présentement, c’est lui qui enseigne comment le système fonctionne aux jeunes médecins rébarbatifs qui travaillent dans les autres GMF.»

Et comment doit-on justement s’y prendre pour convaincre les plus récalcitrants? « Il y a plusieurs types de récalcitrants : ceux qui ont peur, ‑ du ridicule ou de la technologie; ceux qui ont décidé de ne jamais utiliser un système informatique sans véritable motif. Ce sont généralement les plus réticents. Ils ne savent pas ce qu’ils refusent mais ils restent fermés à l’idée. À l’hôpital, nous avons contourné le problème en imposant l’utilisation du système. À la clinique, les omnipraticiens étaient libres d’adopter ou non la solution. Il faut préciser que faute d’espace, nous avions dû refuser deux médecins à temps plein à la clinique car nous ne pouvions accueillir leurs dossiers. Ainsi confrontés, tous les omnipraticiens étaient conscients de l’ampleur de la problématique et de son impact sur la clinique. Nous avions donc tout intérêt à trouver une solution. Cet événement a constitué le déclencheur de cette aventure. Avec le temps, nous avons toutefois constaté que les gains sur le plan clinique se sont avérés bien plus importants que ceux réalisés en matière d’archivage. De mois en mois, nous réalisons des avancées car nous pensons à de nouvelles façons d’utiliser l’outil. »

Goûter aux avantages de l’électronique peut toutefois s’avérer frustrant lorsqu’on est confronté aux anciennes méthodes. Ainsi, bien que l’ensemble de la clinique évolue aujourd’hui sans papier, les professionnels doivent cependant répondre aux exigences papiers des autres établissements de santé de la région. «Si j’envoie un patient passer un électromyogramme dans un hôpital régional, je dois encore remplir certains formulaires papier qui nous sont “ imposés ” par ces fournisseurs de services et ce, même si le système peut émettre “ exactement ” le même en version électronique. Ils veulent tout simplement imposer LEUR formulaire. Si le spécialiste travaillait en mode électronique, il pourrait même consulter mon dossier à distance et prendre connaissance de tous les antécédents de mon patient, les médicaments prescrits, les derniers résultats, etc.»

Imaginez les avantages que pourrait représenter l’informatisation de tous les services de santé! Tous les professionnels auraient ainsi accès à un dossier patient totalement organisé, accessible à distance, pouvant faire éventuellement l’objet de forage et de requêtes du genre extraire la liste de toutes les femmes de 60 ans qui ont eu un cancer du sein de tel type, qui prennent tel médicament et qui ont tels effets secondaires. Disposer de telles informations représenterait des possibilités indéniables pour la santé publique. « Dans les Laurentides, nous sommes 16 GMF à utiliser le même DMÉ. Tous nos systèmes sont identiques donc immédiatement capables d’être interreliés. Un chercheur pourrait ainsi se connecter et accéder aux données atomiques dénominalisées de plus d’un million de patients. Cela représente un outil de recherche redoutable, spécule Bertrand Bissonnette.»

Réticences, freins et difficultés

De façon surprenante, aucune résistance ne s’est manifestée sur le plan des coûts à la Clinique médicale 201. « Implanter un DMÉ, ça ne coûte rien, comparativement aux gains que ça procure, déclare Dr Bissonnette. Nous n’avons donc subi aucune réticence de ce côté. Nous avons éprouvé des difficultés lorsque nous avons voulu nous organiser avec des tiers comme les CSA (Centre de services autorisés) qui ont une lenteur de réaction éprouvante. Quand ils sont arrivés pour déployer les fils dans les murs, nous disposions déjà de connexion web sans fil et nous étions tous équipés d’un ordinateur…»

S’assurer de choisir le bon système peut aussi s’avérer un défi considérable. Comme les médecins de la Clinique couvrent un grand territoire et qu’ils effectuent des visites à domicile, l’équipe recherchait une solution qui permette l’accès à distance par le Web. Il n’y avait que deux fournisseurs qui offraient cette possibilité à l’époque. « Nous les avons fait venir et nous avons comparé les deux solutions en termes de coûts, de facilité d’implantation, de matériel informatique requis, etc., explique Bertrand Bissonnette. Le système KinLogix s’est démarqué davantage. Avec la subvention, l’implantation s’est réalisée à coûts nuls. Donc personne ne pouvait argumenter ou freiner l’adoption à ce chapitre. Aujourd’hui, il existe davantage de solutions. À l’automne 2012, le gouvernement du Québec avait homologué autour de huit systèmes de gestion de DMÉ et peut-être même treize d’ici un an.

Des projets futurs?

Au niveau de la clinique, Bertrand Bissonnette teste actuellement un concentrateur qui permet la transmission électronique des résultats. L’expérimentation se fait avec les résultats de laboratoire. Ce projet concerne toutes les Laurentides et est mené par le Département régional de médecine générale. L’objectif : miser sur un seul concentrateur pour desservir ce grand territoire. « Pour ce faire, nous nous sommes associés avec les régions de Laval et de Lanaudière, explique Dr Bissonnette. Le système est actuellement fonctionnel et nous recevons désormais des données granulaires qui sont automatiquement intégrées dans le DMÉ. Nous espérons incorporer par la suite les résultats d’imagerie, et toutes les informations qui sont intégrées à l’hôpital. Plus nous déployons ces outils, plus nos énergies sont consacrées à faire de la médecine plutôt que de la gestion de paperasse et de la communication. Comme nous sommes un peu plus avant-gardistes sur le plan technologique que les autres GMF, nous agissons souvent à titre de clinique pilote. Nous transférons ensuite la connaissance acquise à l’ensemble des autres cliniques. »

« Nous aimerions également faire de la télémédecine, poursuit Dr Bissonnette. Dans sa version actuelle, l’outil peut nous le permettre. Imaginez les possibilités offertes pour mes patients à domicile ou encore en longues durées. Je suis à mon bureau et un de mes patients en longues durées tombe, je pourrais intervenir à distance, diriger une infirmière afin qu’elle pratique un examen sommaire, demander une radiographie de la hanche, recevoir les résultats, parler à l’orthopédiste, tout cela sans même bouger de mon bureau et en moins d’une heure, en continuant de voir mes patients à la clinique. Et là, je ne parle même pas des visites à domicile l’hiver, des grandes distances à parcourir et des patients qui se déplacent avec difficulté. Pouvoir intervenir à distance pourrait s’avérer très bénéfique pour notre très vaste région et nous permettrait d’accroître notre efficacité de façon considérable.»

Et ce sans parler de l’impact que pourrait avoir la télémédecine sur le désengorgement des urgences. Imaginez si chacun des 40 médecins pouvait offrir une heure de son temps à distance par jour. «Nous avons tout ce qu’il faut sur le plan technologique pour travailler de la sorte. Le fruit est mûr, il suffit de brasser, avec assez d’énergie, le pommier pour le cueillir et faire les efforts de communication qui s’imposent pour concrétiser nos rêves et en faire fructifier nos patients, conclut Bertrand Bissonnette.»

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