Le DMÉ de la Clinique de Montmagny: étude de cas

Le docteur Jean-François Rancourt est médecin de famille à la Clinique médicale de Montmagny, un établissement qui compte 14 omnipraticiens, quatre secrétaires, une secrétaire administrative, trois infirmières et trois spécialistes. La Clinique est membre du Groupe de médecine de famille (GMF) de Montmagny-L’Islet, le quatrième GMF en importance au Québec. En effet, la Clinique et ses partenaires, dont la Clinique médico-dentaire Montmagny, la Clinique Cap C. Proulx, la Clinique Saint-François et les CLSC de Saint-Jean-Port-Joli et de Saint-Pamphile, fournissent des services médicaux à quelque 30 000 personnes dans la région de Chaudière-Appalaches.

Le docteur Jean-François Rancourt, Clinique de Montmagny

Historique du projet

Sur les 10 GMF de Québec/Chaudière-Appalaches qui ont implanté un DMÉ ces dernières années, celui de Montmagny-L’Islet est le seul à avoir réalisé un virage complet en cette matière.

En 2009, l’Association médicale canadienne décrivait ainsi la naissance des dossiers médicaux électroniques (DMÉ) à la Clinique médicale de Montmagny: « Il est devenu évident qu’il fallait obtenir un DMÉ lorsque des cliniques différentes se sont unies [au début des années 2000] pour créer un GMF. Le travail d’équipe, ainsi que les multiples points de service, ont démontré qu’il fallait partager le dossier médical en commençant par la liste et l’inscription des patients. Les médecins qui partageaient leur temps entre la clinique, la clinique sans rendez-vous, les visites à domicile, le travail à l’hôpital et à l’urgence, avaient besoin de renseignements pertinents et à jour n’importe quand. En outre, pour partager une clientèle de façon efficiente, il fallait absolument [que les professionnels] puissent consulter certaines données […], les diagnostics, les dernières notes cliniques, etc. La création du GMF a aussi donné naissance à une nouvelle collaboration [médecins-]infirmières […]. Il fallait trouver un moyen efficient de permettre aux infirmières et aux médecins de communiquer ».

C’est le Dr Rancourt qui a dirigé les travaux d’implantation d’un DMÉ au sein de la Clinique de Montmagny et du nouveaux GMF. Dès le début, ce professionnel, qui avait suivi le micro-programme d’informatique de la santé de l’Université de Sherbrooke, « a fait fonction de moniteur et appuyé énormément le personnel médical. Lorsque le moment est venu de choisir un DMÉ, l’équipe du Dr Rancourt a rencontré les principales entreprises du Québec qui offraient un système complet de DMÉ en français. Toujours préoccupée par la durée d’un produit et du soutien offert par le fournisseur, l’équipe a ensuite regardé ce qu’on avait déjà implanté depuis quelques années dans la région et à l’Hôtel-Dieu de Lévis, hôpital de soins secondaires de référence situé à une trentaine de minutes de route. Le choix du DMÉ a reposé principalement sur la capacité de numériser les documents et de recevoir électroniquement des résultats de laboratoire. Un médecin de la région exerçant seul et utilisant le même DMÉ l’a aussi approuvé. Enfin, le gouvernement [du Québec] avait déjà fourni aux médecins un logiciel d’établissement d’ordonnances d’une entreprise aussi choisie pour effectuer l’importation des résultats de laboratoire dans la région de Montmagny. Comme ce système était plus rapide que celui de la concurrence, [l’équipe du docteur Rancourt] a décidé de choisir le même fournisseur dans le cas du DMÉ ».

Le système de DME a été implanté progressivement. Les modules suivants fonctionnent aujourd’hui: « tableau de bord, inscriptions, rendez-vous, résultats d’examens diagnostiques, avertissements, ordonnances, documents électroniques et rédaction de notes cliniques. On utilise aussi le logiciel de facturation d’un fournisseur différent. Enfin, on a mis au point d’autres applications avec un système de gestion de base de données pour suivre les groupes plus vulnérables de patients comme ceux qui ont le diabète. Le DMÉ permet à tous les membres du groupe de partager le dossier médical, ce qui garantit un meilleur suivi des patients. Les résultats d’examens diagnostiques sont envoyés à la clinique par voie électronique et un lien entre la clinique et les hôpitaux permet de consulter des radiographies à distance. »

Les avantages du DMÉ

Le recours aux DMÉ présente de nombreux avantages pour les acteurs du GMF de Montmagny. L’Association médicale canadienne en présente une liste dans l’étude qu’elle a réalisée en 2009 :

  • « Les secrétaires ont été les premières à intégrer les modules du DME dans leur routine, à commencer par le module des inscriptions et l’ordonnancier. Elles ont adopté ces outils beaucoup plus rapidement qu’on l’avait prévu parce qu’ils ont rendu leur travail plus efficient. Ils leur offraient un avantage immédiat en leur permettant de fixer des rendez-vous simultanément à partir de nombreux postes de travail différents, ce qu’elles ne pouvaient faire sur papier. Pour les secrétaires, il était beaucoup plus facile de fixer les rendez-vous… beaucoup de personnes pouvaient le faire en même temps, ce qui était impossible auparavant dans un cahier de rendez-vous sur papier. […]
  • Le Dr Rancourt juge qu’il gère mieux son temps en dictant comme d’habitude ses notes de contact au lieu de les taper lui-même. La plupart de ses collègues font de même. Il est plus rapide de dicter les notes et de les faire transcrire par une secrétaire. C’est plus rentable que de dicter les notes directement dans le dossier du patient. Le temps que j’y consacrerais ne serait pas très efficace pour moi sur le plan du coût.
  • La réception électronique des résultats d’examens diagnostiques et la connexion avec l’hôpital pour consulter les radiographies sont d’autres moyens de gagner du temps. Tous les médecins de la clinique ont demandé que le système de DME soit accessible de chez eux, ce qui leur permet de mieux gérer leur temps. Enfin, si un médecin s’absente pendant une période prolongée — en congé de maternité, par exemple — il est beaucoup plus facile pour un autre médecin de prendre la relève s’il n’y a pas d’incertitude au sujet de l’organisation de l’information, de sa lisibilité ou des examens diagnostiques auxquels il faut donner suite. Imaginez ce qui se passe lorsqu’un médecin part et laisse 500 ou 600 patients… Ou lorsqu’un autre part en congé de maternité et demande à l’un d’entre nous de vérifier ses résultats de laboratoire…
  • Vérifier les résultats de laboratoire dans un dossier médical électronique, c’est simple. Si le médecin A est absent et le médecin B s’occupe de ses résultats de laboratoire, je consulte le dossier médical, il faut cinq secondes pour écrire au médecin B une note indiquant que la case du médecin A se trouve dans son «tableau de bord» et le médecin B peut maintenant en cinq secondes donner suite aux résultats de laboratoire du médecin A pendant son absence. Comment cela se serait-il passé manuellement sur papier? J’aurais dû aller dans sa case postale, prendre ses résultats, les traiter, sortir le dossier papier, voir qui est le patient… Lorsque les autres médecins tiennent de bons dossiers électroniques des patients en indiquant leurs antécédents personnels et leurs médicaments, leur diagnostic… il est agréable de les aider.
  • Après la création du GMF, des infirmières se sont jointes à l’équipe de la Clinique médicale de Montmagny où elles ont apporté leurs connaissances techniques de l’enseignement et du suivi, ainsi que leurs compétences en amélioration de la santé et en prévention. Certains actes médicaux leur ont été délégués, ce qui a non seulement créé un nouveau besoin de partager les dossiers, mais aussi changé la pratique clinique. Le dossier électronique unique du patient, toujours accessible en même temps pour les divers intervenants, facilite grandement le travail d’équipe et rend la communication plus efficiente. Lorsque l’on commence à travailler en équipe, tout d’abord en groupe et ensuite à de multiples points de service, et que l’on fait la moitié de son travail à l’extérieur de la clinique — parce qu’il y a les visites à domicile, le travail à faire à l’hôpital et à l’urgence —, il faut pouvoir trouver les renseignements de nouveau. Sans ces outils, on est toujours insatisfait et le travail d’équipe devient difficile. Le dossier électronique rend le travail plus intéressant.
  • Le travail effectué par les médecins stagiaires qui ont des autorisations limitées est plus facile à gérer avec le DME, ce qui permet, par exemple, aux médecins de contresigner beaucoup plus facilement les ordonnances. Sans compter qu’il permet de verser au dossier de l’information de qualité supérieure, le DME a facilité un meilleur partage d’information entre différents soignants. Les notes cliniques sont plus lisibles, la fonction ordonnance est intégrée et facilite le renouvellement, et il y a les alertes sur les interactions médicamenteuses et les allergies, la réception électronique des résultats des examens diagnostiques est beaucoup plus rapide, il est beaucoup plus facile de gérer la liste de clients d’un collègue et les messages entre les fournisseurs de soins de santé sont beaucoup plus efficients. Enfin, le fait d’avoir tous les renseignements d’un patient à portée de la main dans une structure donnée aide le médecin à prendre des décisions. »

On peut évidemment ajouter d’autres avantages à cette liste. L’implantation des DMÉ rapporte aussi aux patients, note le docteur Rancourt. « Par exemple, à l’ère papier, il arrivait que je reçoive une personne à la clinique sans rendez-vous et que, suspectant une pneumonie ou une fracture, je l’envoie à l’hôpital pour passer une radiographie. Le patient se rendait alors à l’urgence, attendait qu’une infirmière l’interroge à l’étape du triage, attendait de voir le médecin de garde, attendait de passer sa radiographie, attendait que le médecin lui donne les résultats de la radiographie, etc. Aujourd’hui, le même patient vient me voir, j’appelle l’hôpital pour demander si je peux l’envoyer passer une radio, je remplis tout de suite les formulaires requis de manière semi-automatique avec le DMÉ, les formulaires sont expédiés sur-le-champ à l’hôpital, le patient passe sa radiographie sans attendre, je lui dis de rentrer chez lui, j’examine la radiographie à distance, j’appelle le patient à la maison et lui dis de prendre les mesures qui s’imposent étant donné sa condition. En fin de compte, tout le monde, surtout le patient, a gagné du temps! »

Enfin, le docteur Rancourt note que le recours au DMÉ favorise une meilleure préservation des données patients que l’utilisation de dossiers papier conventionnels. « Un feu s’est déclaré voilà quelques années dans une clinique gynécologique du Lac-Saint-Jean. Tous les dossiers patients, des dossiers construits sur une période de deux décennies, ont alors été brûlés. Seule une base de données de facturation a échappé aux flammes. Grâce à cette base, la clinique a pu reconstituer ses dossiers patients de manière rudimentaire, mais cela lui a pris neuf mois de travail acharné et le résultat était loin d’être complet. Si une catastrophe de ce genre survenait ici, les copies que nous réalisons quotidiennement pour sauvegarder les données de notre DMÉ nous permettraient de reprendre nos activités le jour même ».

L’achat d’un DMÉ

Les avantages d’un DMÉ ne font pas de doute pour le docteur Rancourt, mais comment choisit-on l’application qui conviendra le mieux à une clinique particulière?

Aux yeux du médecin de Montmagny, toute réflexion à ce sujet devrait avoir pour point de départ les besoins de la clinique et de son personnel. « Tout repose entre autres sur une bonne prise en compte des processus déjà en place dans l’organisation », dit-il, parce que le DMÉ devrait être adaptéà ces derniers plutôt que l’inverse.

Le docteur Rancourt croit aussi que les cliniques devraient se tourner vers un fournisseur capable de fournir l’ensemble des fonctionnalités que devrait comporter un DMÉ, plutôt qu’une partie, seulement, de celles-ci. « Rien n’est pire à mes yeux qu’un environnement où certaines choses se font de manière numérique et d’autres, de façon papier. Par conséquent, il y a un risque à sélectionner un fournisseur incapable, à terme, de livrer la solution complète que vous souhaiterez déployer ».

De même, il est risqué de faire appel à deux fournisseurs si cela complique la vie des utilisateurs. « Je conçois qu’on se tourne parfois vers une deuxième entreprise pour obtenir un module spécialisé quelconque, mais les professionnels de la santé et les employés de l’administration de la clinique ne devraient même pas se rendre compte qu’ils travaillent avec deux outils différents », note le docteur Rancourt.

Ce dernier recommande par ailleurs de faire affaire avec un fournisseur qui connaît bien son DMÉ et qui soutient ses clients tout au long de l’implantation de son outil. « Évitez de traiter avec une entreprise qui apprendra en même temps que vous ».

Jean-François Rancourt recommande en outre aux responsables des cliniques de ne pas prendre de décision en se fiant seulement aux prétentions des fournisseurs. « Allez voir des utilisateurs de la solution envisagée pour comprendre ce que son utilisation signifie concrètement sur le terrain. Réunissez quelques collègues médecins, secrétaires et infirmières et prenez le temps de faire une petite tournée régionale ou nationale avant d’arrêter votre choix. Le jeu en vaudra la chandelle, vous pouvez en être assurés ! »

Les stratégies de gestion du changement

Vous avez choisi quel DMÉ implanter? Le temps est maintenant venu de le déployer au sein de votre clinique ou GMF. « Quand on parle d’implanter un DMÉ, une bonne gestion du changement fait toute la différence, note le docteur Rancourt. »

Le docteur Rancourt et l’équipe chargée d’implanter un DMÉ au sein du GMF ont recouru à différentes approches pour assurer le succès de cette initiative.

Premièrement, tout projet nécessite selon lui un champion, c’est-à-dire quelqu’un de l’interne qui connaît bien le projet et ses tenants et aboutissants. « Cette personne n’a pas besoin d’être une spécialiste des technologies, avance le médecin, elle n’a pas besoin de passer des milliers d’heures sur le projet, mais elle doit être allumée par ce dernier, elle doit pouvoir y consacrer du temps et elle doit avoir la capacité de jouer le rôle d’intermédiaire entre ses collègues et les gens du secteur des TI. Un projet où il n’y a pas de champion est un projet qui ne peut pas fonctionner », avance Jean-François Rancourt.

Ensuite, il faut définir qui jouera un rôle moteur dans le projet, qui l’appuiera. « Par exemple, souligne le docteur Rancourt, les secrétaires sont souvent des partenaires importants dans un projet d’implantation, parce qu’elles voient vite les gains qu’il est possible d’obtenir grâce au DMÉ, parce qu’elles ont tendance à ne pas résister au genre de changements introduits par ce dernier ».

L’équipe d’implantation devrait aussi compter un fournisseur de services TI qui connaît bien la clinique et ses besoins, un fournisseur qui n’est pas le producteur du DMÉ. « Il arrive toujours un jour où les résultats de laboratoire cessent de rentrer de l’hôpital comme prévu à cause d’un problème de communication et où l’imprimante cesse de fonctionner correctement, note le docteur Rancourt. Quand cela se produit, il faut avoir à proximité un centre de services agréé capable de jouer le rôle de pompier ».

Soutenir les médecins… discrètement et ponctuellement

Pour qu’un projet connaisse du succès, il est essentiel de soutenir l’ensemble des médecins qui seront appelés à utiliser le DMÉ. Ceci veut notamment dire qu’il est important de leur offrir de la formation, mais le docteur Rancourt et son équipe se sont rendu compte que les cours de quelques heures ne donnent pas autant de résultats que d’autres stratégies.

« Selon nous, une approche plus efficace consiste à offrir une assistance plus ciblée, plus ponctuelle aux médecins. Par exemple, pour quelques centaines de dollars, nous avons fait l’acquisition d’un logiciel de partage d’écran appelé DameWare, qui permet à un médecin rencontrant une difficulté dans l’utilisation du DMÉ de prendre le téléphone et de demander de l’aide à un utilisateur chevronné, comme une secrétaire pilote. Cet accompagnateur peut alors l’appuyer à distance dans la réalisation d’une opération particulière ».

Le GMF s’est aussi doté d’une application commerciale, Camtasia, qui facilite la création de courtes capsules vidéo avec captures d’écran, des capsules partageables qui aident les utilisateurs à résoudre eux-mêmes les problèmes bien précis qui se présentent le plus souvent à eux. « Les professionnels de la santé sont des gens très occupés, avance le docteur Rancourt. Pour eux, une formation de deux ou trois heures, c’est souvent trop long, trop indigeste. Mieux vaut préconiser des approches plus courtes et moins intrusives ».

Enfin, le docteur Rancourt pense que pour les médecins qui connaissent moins bien les TI, l’achat d’un logiciel comme Tap’Touche, une méthode pour apprendre la dactylographie, peut s’avérer un excellent achat.

Il faut éviter les solutions mixtes

Pour réussir l’implantation de son DMÉ, le GMF du docteur Rancourt a souvent recouru à la stratégie des petits pas. Par exemple, le médecin croyait au départ que certaines secrétaires pourraient démontrer une certaine résistance à l’implantation du module électronique de prise de rendez-vous du nouveau DMÉ. « On leur a donc dit d’en faire l’expérience avec seulement deux médecins, tout en continuant de recourir à leur ancien système de prise de rendez-vous papier. Au bout d’une semaine, les secrétaires souhaitaient utiliser le module avec tous les médecins et peu de temps après, elles arrêtaient carrément de recourir au papier pour la prise de rendez-vous ».

Si le recours à une solution mixte peut être indiqué pendant un court laps de temps, il ne peut cependant constituer une solution gagnante à plus long terme, croit Jean-François Rancourt. Selon lui, « il n’y a rien de pire que de faire les choses à moitié, que d’informatiser certains processus, mais pas d’autres. À la fin, cela ne peut que déboucher sur des pertes de productivité et d’efficacité et le découragement des médecins, des infirmières et des secrétaires concernés. Au contraire, quand on prend le virage au complet, il suffit de six mois, et on ne veut plus jamais revenir en arrière ».

Réjean Roy et Liette D’Amours, courtiers en connaissances, ont rencontré le docteur Rancourt en avril 2012, à Montmagny. Des capsules vidéo produites à partir de cet entretien sont accessibles sur YouTube.

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