Étude de cas: l’utilisation des DMÉ dans la région des Laurentides

La région des Laurentides est l’une de celles qui souffrent le plus des grands problèmes — population vieillissante, urgences bondées, pénurie de médecins de famille — qui frappent fortement le Québec dans le secteur de la santé. L’ampleur des défis à relever a amené l’Agence de la santé et des services sociaux des Laurentides à concevoir et mettre en oeuvre des mesures correctrices qui incluent, entre autres, l’utilisation des dossiers médicaux électroniques (DMÉ) par les groupes de médecins de famille (GMF) de cette région.

Les difficultés majeures rencontrées par la région des Laurentides en matière de soins de santé ont récemment amené l’Agence à créer 36 nouveaux postes d’omnipraticien et 41 nouveaux postes de spécialistes sur ce territoire. Elles ont aussi entraîné la création de « guichets de clientèle orpheline », souligne le docteur Luc Laurin, chef sortant du Département régional de médecine générale (DRMG) des Laurentides et médecin  responsable du GMF de la Lièvre de Mont-Laurier. Présents dans sept centres de soins et de services sociaux, ces guichets « permettent d’identifier les personnes en attente d’un médecin de famille et de prioriser les cas les plus lourds. Ainsi, relève Luc Laurin, on met l’expertise médicale à la bonne place ».

Cela dit, la solution adoptée par la région pour relever à long terme les défis auxquels elle est confrontée comporte un pilier technologique, un pilier qui prend la forme de l’utilisation, par les GMF, de dossiers médicaux électroniques.

« L’amélioration des soins de santé et celle de la performance des acteurs du milieu de la santé passent obligatoirement par le recours aux DMÉ, croit le docteur Laurin. D’abord et avant tout, ces outils facilitent l’échange des informations médicales relatives à un patient entre les différents professionnels appelés à intervenir auprès de lui. Pour accroître la qualité de la communication entre acteurs, les DMÉ sont indispensables. »

En outre, pense Luc Laurin, les DMÉ favorisent en soi une meilleure tenue du dossier de chaque patient. « À cause de la manière même dont ils sont pensés, ces outils forcent les médecins à construire leurs dossiers avec rigueur, à en faire une meilleure tenue. Les dossiers électroniques sont de meilleurs dossiers patients que leur équivalent papier ».

Les DMÉ présentent trois autres avantages clés aux yeux du docteur Laurin :

  1. ils permettent aux cliniques d’économiser de l’espace (et possiblement de l’argent), puisqu’elles n’ont plus à stocker des milliers de dossiers papier dans leur espace de bureau;
  2. les dossiers électroniques sont plus en sécurité que les dossiers papier, ce qui permet à une clinique de reprendre ses activités rapidement au lendemain d’une catastrophe comme un incendie ou un dégât d’eau (il lui suffit d’utiliser la copie de sauvegarde de ses données);
  3. la confidentialité des renseignements stockés dans un DMÉ paraît mieux assurée. « Dans une clinique traditionnelle, il arrive qu’on laisse des dossiers papier sans surveillance. Avec un DMÉ, il faut connaître les codes d’accès pour accéder à l’information relative à un patient. L’amélioration est nette, souligne le praticien. »

Au final, avance le docteur Laurin, « le médecin qui recourt à un DMÉ est plus efficace, il perd moins de temps. Il voit plus de patients — j’en rencontre personnellement deux ou trois de plus par jour que par le passé — et il trouve son métier plus agréable. Moi, le DMÉ va carrément prolonger ma carrière de quatre ou cinq ans, estime le chef sortant du DRMG. »

Une solution partielle à la pénurie de médecins?

Si tous les médecins de famille utilisaient un DMÉ, « leur productivité collective augmenterait fortement. En fait, ça serait comme si 600 docteurs de plus pratiquaient en clinique au Québec », pense Luc Laurin.

L’implantation des DMÉ dans les Laurentides

Le docteur Laurin fait partie des 150 à 175 médecins de famille des Laurentides qui utilisent aujourd’hui un DMÉ à une échelle ou une autre. L’adhésion à cet outil s’est cependant faite petit à petit. Au commencement, seulement six des 19 GMF de la région et 50 médecins recouraient au dossier médical électronique.

« Tout a commencé il y a quatre ans avec la formation d’un comité DMÉ par la DRMG des Laurentides, relève Luc Laurin. Nous étions au courant que le projet de mise en place du dossier santé électronique du Québec (DSQ) était en marche. Nous croyions que cette initiative était importante. Cependant, nous savions qu’elle avait du plomb dans l’aile et, surtout, nous étions convaincus qu’il fallait commencer à parler d’informatisation des dossiers patients en partant de la base plutôt que du sommet. »

Les membres du comité, des gens qui aimaient l’informatique sans la connaître à fond, comme le docteur Laurin, ont commencé par s’entendre sur le fait que les GMF des Laurentides gagneraient à se doter du même DMÉ, pour faciliter les communications entre les GMF, puis ils ont établi les caractéristiques que l’instrument recherché devrait afficher.

« Le DRMG a demandé des soumissions régionales, puis le comité a évalué les offres de services et désigné ce qu’il lui paraissait être le meilleur produit en tenant compte d’une analyse coûts et bénéfices. Chaque clinique était libre d’épouser cette recommandation ou non, note Luc Laurin. »

La technologie retenue par le comité était perçue comme hautement conviviale. « Il ne faut pas que l’arrivée d’un DMÉ exige des GMF ou des médecins qu’ils fassent de grands changements à leurs façons de faire habituelles, pense le docteur Laurin, parce que si c’est le cas, le projet d’implantation ne peut qu’échouer. Il faut au contraire que l’outil choisi colle bien aux processus en place et que son utilisation débouche le plus vite possible sur des économies de temps. »

Après avoir arrêté son choix sur une technologie particulière, le comité DMÉ a commencé à sensibiliser les GMF à l’importance de se doter de dossiers médicaux électroniques, puis il a utilisé les « fonds de tiroir » de la DRMG — quelque 100 000 $ au total, sur quelques années — pour embaucher un contractuel capable d’aider les GMF à prendre le virage.

« Il faut toujours quelqu’un, sur le terrain, localement, pour jouer ce rôle, pense Luc Laurin. On ne peut pas compter sur les fournisseurs de DMÉ pour faire ce travail d’accompagnement. Ils ne peuvent pas être à nos côtés en tout temps. »

Les obstacles à l’adoption des DMÉ

L’adoption des DMÉ dans les cliniques des Laurentides ne s’est pas faite sans heurts. En effet, des embûches diverses ont nui à l’adoption rapide de cette technologie par les GMF de la région.

« D’abord, note Luc Laurin, il ne faut pas se leurrer : ça prend des investissements majeurs, en temps et en argent, pour déployer un DMÉ dans un GMF. Ces investissements, tous n’étaient pas prêts à les consentir, tandis que d’autres manquaient de ressources pour acquérir le nouveau logiciel et l’implanter correctement chez eux. »

Ensuite, « il est clair que certains médecins ont peur de l’informatique et hésitent à recourir aux technologies de l’information, avance Luc Laurin. Le papier les sécurise. D’autres sont en fin de carrière et ne voient pas l’avantage d’adopter un DMÉ et de se mettre à numériser leurs dossiers à deux ou trois ans de la retraite. »

Enfin, des difficultés techniques de toutes sortes ont entravé le déploiement des DMÉ dans les GMF des Laurentides. « À mes yeux, voilà le problème le plus important, et de loin, auquel on fait face, note Luc Laurin. C’est sûr que le facteur humain entre en ligne de compte, mais dans le fond, le défi principal est vraiment ailleurs à mes yeux, dans la résolution super rapide des bogues informatiques qui ne manquent jamais de surgir! Il faut accepter de vivre avec le fait que les imprimantes ne reconnaissent pas toujours les demandes simples du prescripteur, que deux machines identiques n’offrent pas la même compatibilité avec le DMÉ choisi, qu’il y a parfois des coupures d’Internet ou que les crayons électroniques se mettent parfois à fonctionner tout croche. Mais quand ces ennuis surviennent trop souvent et durent trop longtemps, ça décourage ou frustre bien du monde. »

Quelques solutions gagnantes

Pour régler ces problèmes, il est possible d’utiliser différentes approches, pense le docteur Laurin, des approches qui ont été appliquées dans les Laurentides.

Pour amener les médecins qui hésitent à adhérer au DMÉ à le faire, il ne convient pas d’employer la manière forte, pense le médecin. Il faut plutôt respecter l’autonomie de chacun. « Dans ma clinique, on reconnaît que tout le monde n’est pas au même niveau. Personne n’est forcé de recourir au DMÉ. Chacun de nos huit médecins peut se mettre à utiliser cet outil, ou l’un de ses différents volets, quand il se sent à l’aise de le faire, quand il s’est habitué à l’idée d’en faire usage. En fait, les autres docteurs m’ont demandé d’être le premier à explorer les diverses fonctionnalités de notre logiciel », dit Luc Laurin.

« Par exemple, continue le médecin, j’ai été le premier à m’attaquer à la numérisation de mes 1700 dossiers patients, numérisation que j’ai mis une bonne année à réaliser. De cette manière, j’ai été le premier à rencontrer les bogues qui se présentent en cours de route et à travailler à leur résolution. Et les autres ont pu me regarder aller, voir comment les choses se passaient avant décider, ou non, de pousser, l’aventure plus loin. »

En fait, poursuit le docteur Laurin, « ce qu’il faut dans une clinique, c’est un médecin mentor, quelqu’un qui joue un rôle similaire au mien, et une super utilisatrice, une secrétaire ou une technicienne administrative, une ressource qui peut épauler le reste de l’équipe quand se présentent des problèmes mineurs. Ces personnes doivent être soutenues par un centre de services autorisés, une entité locale capable d’intervenir rapidement quand un pépin ne peut être réglé par le mentor ou la superutilisatrice. »

Dès qu’on parle d’utiliser un DMÉ, il faut aussi que tout le monde s’entende sur certaines choses, déclare Luc Laurin. Entre autres, « il ne suffit pas de numériser les dossiers patients, il faut savoir comment le faire et comment classer les données recueillies, par exemple, prévoir si les résultats des scintigraphies myocardiques seront classés dans le fichier radiologie ou le fichier cardiologie. »

Compliqué tout cela? Peut-être, mais comme le relève le docteur Laurin, « à l’époque des cliniques conventionnelles, il fallait organiser notre système d’archivage. Aujourd’hui, il faut juste faire de même, avec nos archives informatiques. »

L’arrivée des DMÉ : la pointe de l’iceberg

Pour Luc Laurin, il paraît évident que l’arrivée des DMÉ dans les cliniques ne constitue que le début des changements majeurs que ces établissements  connaîtront dans les années à venir. En effet, les dossiers médicaux électroniques comptent parmi les outils qui favoriseront l’amélioration de la qualité des soins offerts aux patients.

« Tout le monde est gagnant quand les médecins se mettent à utiliser un DMÉ, affirme-t-il. Il est vrai que la saisie de données est souvent plus longue, au début, mais dans le cas de dossiers existants, la conversion au numérique permet de faire du ménage, de revoir l’état du patient, de peaufiner certains détails, etc. »

Le DMÉ permet aussi de réaliser des gains de productivité et d’efficacité du côté clérical. « Avant, les secrétaires passaient un temps précieux à simplement insérer des tests de laboratoire papier dans les dossiers. À l’avenir, ce travail administratif sans grande valeur ajoutée pour les patients va disparaître ou changer de forme. Par exemple, continue Luc Laurin, le DMÉ favorisera l’entrée en jeu d’assistant doctors, d’aides plus qualifiés sur le plan médical et, par conséquent, capables de faire la revue des antécédents d’un patient, de classer adéquatement ses résultats d’examen, de l’examiner de manière préliminaire lors d’une étape ressemblant au triage réalisé dans une urgence et de faire des annotations à son dossier. Il en coûtera plus cher à une clinique d’employer de telles ressources humaines, admet le docteur Laurin, mais ses revenus devraient aussi augmenter, tout comme, et c’est le principal, la qualité des soins qu’elle offre. »

Réjean Roy, courtier en connaissances, a rencontré le docteur Laurin en septembre 2012, à Montréal.  

Les DMÉ dans les Laurentides: un facteur d’attraction pour certains médecins

Le recours à un DMÉ peut constituer un avantage concurrentiel pour les cliniques d’un territoire, puisqu’il augmente leur capacité à attirer de nouveaux médecins et retenir les professionnels plus expérimentés. Le docteur Jean Champagne note ainsi: « Je pratique la médecine familiale depuis 1976 dans la région de Mont-Tremblant, dans les Laurentides.

La qualité de vie y est exceptionnelle : […] Côté carrière, la pratique de la médecine familiale est fort variée, permettant d’exercer avec une équipe multidisciplinaire en GMF et en milieu hospitalier […]. Finalement, il ne faudrait pas oublier le département régional de médecine générale très dynamique qui s’implique dans l’informatisation, ce qui fait que la région est très avancée en ce qui concerne le dossier médical électronique, les résultats de laboratoire et la visualisation des radiographies numérisées. »

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